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mardi 10 décembre 2013

Le mur des fermiers généraux du coté des buttes Chaumont

En 1784 les fermiers généraux obtinrent de M de Calonnne, contrôleur général des finances, l'autorisation d'emmurer Paris pour percevoir efficacement l'octroi. 
Nicolas Ledoux construisit une soixantaine de barrières. 
Si au début de la révolution "le mur murant Paris" fut détruit par endroits, il fut bien vite rétabli et l'enceinte durera jusqu'en 1860 date à laquelle Paris s'étendra jusqu'aux fortifs de Thiers .
Le mur avait 23 kilomètres de long, une hauteur de 3,2 mètres, un fossé de 12m et une interdiction de construire sur une zone de 100m. Il n'avait aucune fonction militaire: il servait seulement à empêcher la contrebande.  
Le vin  moins cher "hors barrières" fera la fortune des guinguettes  installées sur les flancs des hauteurs bucoliques du village de  Belleville. D'innombrables débits de boisson fleuriront  le long de la  rue de Belleville, de la rue de Ménilmontant et de la rue des Couronnes. 
Quand le mur est construit La Villette et Belleville sont des villages campagnards de 2000 habitants où les parisiens vont le dimanche, lorsqu'il est détruit ce sont des quartiers ouvriers de plus de 50 000 habitants. 
Après 1860 la démolition du mur permettra d'ouvrir les boulevards extérieurs, puis sur le même  tracé, les lignes 2 et 6, partiellement aériennes, du métro.

Nous nous intéresserons à la portion du coté des Buttes Chaumont et de  Belleville, c'est à dire une partie de la 5ème section, de la barrière de  la Villette à celle de Ménilmontant.

Barrières de la Villette (Senlis et  Pantin)

De gauche à droite, la barrière de Senlis, la rotonde Saint Martin et la barrière de Pantin.
A l'origine les guérites devaient servir de piédestaux à des statues représentant les provinces du Nord
La rotonde vue depuis  le bassin de la Villette
Un cercle inscrit dans un carré façon Palladio. Des frontons portés par 8 piliers sur chaque face et des colonnes doriques jumelées  pour la rotonde.
Barrière de Pantin et grand chemin de Meaux
Cette large voie plantée d'arbres est l'avenue Jean-Jaurès aujourd’hui rabougrie par l' aménagement récent.
Un des cinq lieux où subsistent des bâtiments des barrières (les autres étant Denfert Rochereau, Monceau, la barrière de l'avenue du trône (la Nation) et la barrière d'eau à Bercy .

La barrière de Senlis ( dit aussi de la Villette (1) ou de Saint Martin) donnait sur le chemin du Bourget (l'avenue de Flandre) et la barrière de Pantin sur le grand chemin  de Meaux (l'avenue Jean Jaurès) avec entre elles d'eux la rotonde Saint Martin qui subsiste.
On entrait  dans Paris par des grilles de 4,2 m de large flanquées de deux pavillons
La rotonde de St Martin  servait de bureau et de corps de garde.
"La barrière de Saint-Martin , remarquable par ses formes pittoresques, semble plutôt convenir à un temple qu'à un bureau de percepteurs des droits d'entrée. Cette barrière se trouve sur la ligne de l'axe du bassin de la Villette , et l'observateur , qui se place à l'extrémité de ce bassin, voit cette riche perspective heureusement terminée par ce pompeux édifice." (J A Dulaure 1859)
La rue de Flandre était une ancienne voie romaine, c'était la principale rue du village de la Villette. L'autre rue importante du village  était l'avenue  Jean Jaurès, route d'Allemagne, qu'emprunta  Louis XVI lors de sa fuite et en sens inverse les alliés quand ils envahirent Paris en 1814 ( la reddition  fut signée dans un cabaret tout à coté: "le petit jardinet").
Notons que les noms des routes qui quittent Paris désignent des destinations de plus en plus lointaines au fur et à mesure que les transports progressent, ainsi   l'avenue Jean Jaurès se nommera successivement, chemin de Bondy, grand chemin  de Meaux, route de Strasbourg, puis route d'Allemagne.

En 1808 fut créé le bassin de la Villette qui apportait l'eau de l'Ourq, puis le canal St Martin en 1825.
Le bassin de la Villette connait alors un trafic considérable, les 2/3 des marchandises qui arrivent par voie d'eau à Paris transitent ici. Les bords du bassin se couvrent de cheminées d'usines.

Après 1860 la rotonde sera convertie en silo à sel et sera  incendiée sous la commune. Elle subit un nouvel incendie en 1935 alors que l'on venait de la dégager de bâtiments parasites. Elle aura ensuite  pour voisine la gare Citroën des cars. Restée longtemps sans affectation, elle recevra un dépôt archéologique avant d'être transformée récemment pour accueillir un restaurant.
1 ) sous le Directoire par l’arrêté du 24 thermidor an VIII

La rotonde, le pavillon d'octroi brûlé à la fin du XVIII e siècle  En 1860 le quartier est devenu industriel.
L'écluse du canal St Martin
Après les incendies de la communeEn 1900 le trafic du canal est  encore considérable, la rotonde est cachée par les entrepôts
La rotonde coincée entre le métro aérien et les bâtiments des messageries fluviales Depuis les années 30 les bâtiments des messageries ont fait place à la gare des cars Citroën qui ne disparaîtra qu'en 1985
En 1978 la commission du vieux Paris s'installe dans la rotonde et publie "les cahiers de la Rotonde"

Barrières  St Louis (  boyauderie et combat)

C'était un ensemble similaire à celui de la rotonde St Martin. Un pavillon central était flanqué de deux pavillons l'un contrôlant la barrière de la boyauderie (rue Louis Blanc), l'autre la barrière du combat du taureau sur la rue de l’hôpital St Louis (Grange aux Belles).
Le nom de la  boyauderie provenait d'une "corderie à boyaux" situé sur la rue de Meaux qui conduisait alors à la voirie de Montfaucon.
Le "combat" était celui d'animaux ( taureaux, chiens, ours) , spectacle qui se déroulera jusqu'en 1830 à cet endroit.
C'est aujourd'hui la place du colonel Fabien avec le siège du parti communiste
La barrière du Combat après ceux de la Commune

Barrière de la chopinette

Elle menait  vers la butte Chaumont sur laquelle poussait des vignes et des guinguettes et se trouvait le moulin de la chopinette.
On y accédait du coté de Paris par la rue de la Chopinette ( rue de Sambre et Meuse)  ou celle du Buisson St Louis. Au delà, rue Saint laurent ( rue Rebeval),  il y avait des guinguettes " le rendez vous des bons lurons", le vin sans O".
Un chemin, dont l'amorce est l'actuel passage Gauthier,  montait au moulin  de la chopinette (à l'angle des rues Fessart et Preault) devenu lui même une  guinguette active jusque vers 1850 sous le nom de "moulin de la galette" (comme à Montmartre).
Le  sol étant riche en carrières souterraines c'était aussi un lieu de trafic (la contrebande par les  tunnels à Gaza n'a rien d'une invention récente)
Le bâtiment assez imposant ( voir le  plan plus bas ) comportait deux loggias circulaires supportées par 5 colonnes.

Barrière de Belleville

La paisible barrière de Belleville
La descente de la Courtille avec la barrière en arrière plan  
Elle divisa la Courtille en 2 parties, dans celle annexée à Paris  les guinguettes périclitèrent mais dans la partie du village de Belleville on eut les plus célèbres enseignes de la restauration.
Citons surtout le Grand St Martin, cabaret du père Desnoyez, ( qui deviendra les Folies Belleville) et le bal Favié.
"Entrez, messieurs, entrez, mesdames, au Grand- Vainqueur, à la Fontaine-de-Ricey, aux Barreaux-Verts, au Petit-Bacchus, chez Fanchon-la-Vielleuse, au Jardin de-Flore, chez Dormois, chez Maréchaux, chez Grand-Jean, ou entrez chez Desnoyez, entrez au Petit-Ramponneau, entrez encore ailleurs et puis partout; trombones, octavins, grosses-caisses vous invitent, vous n'avez que l'embarras du choix " (Le nouveau conducteur dans Paris...1851)
C'est au sortir des bals Favié et du père Desnoyez que commençait vers 1830 dans la nuit du mardi gras la fameuse descente de la Courtille dont le héros était Milord l'Arsouille. Cette nuit là les moins fortunés allaient se restaurer et boire à la Vielleuse, au pot Brun ou au grand Vainqueur alors que les plus huppés fréquentaient le Point du Jour, la Pèlerine ou le père Desnoyez. On dansait au bal Favié ou aux Folies Belleville.
Ensuite chacun, déguisé suivant ses moyens, allait à pied ou en voiture jusqu'au Cours la Reine par le faubourg du Temple, la place du Château d'eau ( la République) et les boulevards.
Sous la restauration les cabarets de Belleville furent aussi les lieux de rassemblement de sociétés chantantes : les goguettes

Barrière de Ramponneau

Cette célèbre gravure montre le triomphe de Ramponneau  dont on ne peut même plus approcher le cabaret
Elle se trouvait au débouché de la rue de l'Orillon. Au coin de la rue St Maur  se tenait sous la Régence le célèbre cabaret de Ramponneau: "le Tambour Royal" .
Le vin y était bon marché:
Vive le vin de Ramponneau,
C'est du nectar en perce.
Après la disparition du cabaret elle s'appela officiellement barrière de Riom puis barrière de l'Oreillon.
Sur les cartes le bâtiment de l'octroi semble minuscule, il n'en existe probablement pas de gravure.

Barrière de 3 couronnes

Le nom de  3 couronnes faisait allusion à l'enseigne d'un cabaret.
Il y eut là sous la restauration le "jardin des montagnes françaises", lieu de plaisir le dimanche ou des chariots dévalaient une butte, ou l'on dansait et assistait aux feux d'artifices.
Il y eu aussi des guinguettes  rue des couronnes comme "l'Elysée Ménilmontant", "l'Ancienne héroïne Française", le "bal du Delta" ou le "Jardin des Alcides"
La rue des 3 couronnes s'appelle aujourd'hui Jean Pierre Timbaud.
Le bâtiment d'octroi avait la forme d'une croix grecque 
Les montagnes Françaises créées en 1817.  Il y avait aussi dans le jardin des balançoires, des jeux divers et un bal.
Ce type de jardin de plaisir avec des montagnes russes eu une grande vogue au début de la restauration, il y avait deux établissements concurrents à Paris: Tivoli  ( Saint Lazare) et le  jardin Beaujon ( place des Ternes)
En 1850 tout avait disparu pour faire place à des maisons,  il ne restait que la piste du bal du Delta .

Barrière de Ménilmontant

La rue de Ménilmontant était une route bordée d'arbres qui butait, du coté de la campagne,  sur le parc du château des Pelletier de St Fargeau
C'était un lieu de promenade avec des jardins le long duquel s'élevèrent des guinguettes comme "le galant jardinier" ou "la barque à Caron", "le Grand Orient", "le rendez vous des pompiers", "les Lilas", "le paon d'or" , "le Grand Saint Eloi".
En 1832 Ménilmontant fut la Rome des Saint Simoniens sous la direction d'enfantin et Bazard.

La barrière était entouré de deux bâtimentscarrée avec 32 colonnes  dont l'un ne fut probablement jamais terminé.

Les pavillons d'octroi de Ledoux

Plan et élévation de la barrière de la chopinette
Il semble que c'est à Lavoisier (chimiste, mais aussi un des 40 fermiers généraux) que l'on doit l'idée de quintupler les revenus du fisc en accroissant les limites de Paris et en l'enclavant dans une enceinte.
Ledoux était l'architecte des fermiers généraux et il avait déjà réalisé la saline d'Arc-et-Senans.
Ledoux voulait faire beau et grand et il nomma son oeuvre les  "prophylées de Paris".
Les fermiers généraux s’inquiétèrent surtout des dépenses excessives de leur architecte
En 1787 Ledoux fut remercié alors que l'enceinte méridionale et ses 17 barrières  était achevée et que  l'enceinte septentrionale avec ses  38 barrières était encore en construction. C'est l'architecte Jacques Denis Antoine qui fut chargé de terminer les constructions.

Les pavillons sont des compositions  d'éléments simples - cube, rotonds, croix grecque - associés à un  péristyle, des colonnades ou  des loggias
Ledoux veut que la forme réponde à la fonction, c'est de l'antique revisité , du néo-classique issu de l'esprit des lumières.
Le mur murant Paris était évidemment impopulaire et l'architecture des barrières fut très vite jugée sévèrement.
"On en voit qui ressemble à des cavernes, à des tombeaux; les unes à des églises, d'autres qui ont la magnificence des palais. L'architecte a prodigué ses dessins fantasques. C'était la ferme qui donnait l'or et la ville qui épanchait ses sarcasmes. ( Mercier 1800)
"L'architecte Ledoux , en voulant donner des preuves de la fécondité de son imagination, n'en a souvent prouvé que les écarts. Le luxe qu'il a prodigué dans ces productions architecturales blesse toutes les convenances ; on voyait avec mécontentement et murmures de fastueux édifices consacrés à une perception oppressive pour toutes les classes de la société, et très gênante pour le commerce. C'était blanchir les sépulcres, faire admirer les instruments de l'oppression."  (Dulaure)
 "Les barrières de Paris construites sur les plans de l'architecte Ledoux méritent peu de fixer l'attention : presque toutes sont des édifices sans goût, un lourd assemblage de pierres de taille bizarrement disposées, des bâtiments sans appropriation à la destination qu'on voulait leur donner. Rien de plus pitoyable que la fécondité prétentieuse qui ne sut produire qu'une si pauvre, si mesquine, si triviale variété." ( B. R. 1853)

Le fonctionnement de l'octroi

La Bohème, la scène se passe à l'aube en février à la barrière d'Enfer 
La construction du mur fut probablement une des raisons de la révolution. En tout cas les révolutionnaires pillèrent les pavillons et firent quelques brèches dans le mur. 
En mai 1791  l'assemblée nationale  abolit " tous les droits d'entrée dans les villes".
En 1794 la Convention décida que tous les bâtiments de l'octroi "seraient érigés en monuments publics et que le nom des tyrans y seraient inscrits en caractères de bronze" et on jeta Ledoux en prison.  
On s'aperçut alors que la ville n'avait plus de ressources et le  conseil des Cinq-Cents rétablit en 1798 un "octroi municipal de bienfaisance".
En 1804 le premier consul rétablit définitivement l'octroi. Quelques  barrières furent incendiées lors des révolutions de 1830 et de 1848 mais on ne pouvait se priver d'un revenu qui s’élevait alors à plus de 33 millions avec un  coût de perception de 2 millions (soit 6%).
L'octroi était essentiellement  prélevé "sur les boissons, sur les alcools dénaturés pour leur emploi à l'éclairage ou dans les arts, sur les liquides, huiles, vinaigres, raisins, sur les viandes ou autres comestibles, sur les combustibles, sur les fourrages, les matériaux et bois de construction.
Les vins en bouteille, huile d'olive, pâtés, écrevisses, truites, saumons, turbots , esturgeons, huîtres, volailles fines, gibiers, dindes, oies, lapins, agneaux, chevreaux, cire blanche, bougie, etc., ont à peine produit dix-huit cent mille francs." (B. R. 1851)
La nuit les barrières sont fermées ainsi que l'on peut le constater à l'opéra au début de l'acte III de la Bohême qui se déroule à l'aube à la barrière d'Enfer  ou attendent  balayeurs, laitières et paysannes.

Les barrières de Ledoux furent fermées en 1859 date à laquelle l'octroi est reporté aux fortifs de Thiers.  

 Sites et références



Sur le plan Dyonnet, vers 1850, coexistent le mur des fermiers généraux et la nouvelle enceinte de Thiers.

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