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samedi 21 octobre 2023

Le passé et le triste avenir du centre de la Sécurité Sociale 19 rue de Crimée

Notre quartier possédait deux équipements publics proches: le centre des impots de la rue du plateau et le centre de Sécurité Sociale de la rue de Crimée.

Les deux ont disparu et rue de Crimée ce ne sera même pas des logements sociaux mais un ensemble massif de 3 bâtiments de bureaux et de logements  de "standing". Il faudrait au moins que le projet soit revu avec des immeubles plus petits respectant l'échelle de cette partie du quartier épargnée par la rénovation de la place de Fêtes des années 60

Peut être n'est-il pas trop tard pour agir !

Cet article est aussi consacré au passé du bâtiment actuel  qui fut une usine de tissus plissés puis un orphelinat maçonnique ...

L'angle de la rue de Crimée et de la rue Arthur Rozier aujourd'hui
L'angle de la rue de Crimée et de la rue Arthur Rozier demain ? 
La parcelle est triangulaire. L'architecte a décidé de découper ce triangles en 4 triangles égaux: 3 occupés par les bâtiments et une cour intérieure dans le  triangle central .
On maximise l'occupation du terrain mais on crée un fort vis à vis pour les façades des pointes de la cour intérieure
Façades du projet sur la rue de Crimée.
Notez la disproportion avec les immeubles voisins.
Façades sur la rue Arthur Rozier.
La disproportion avec l'environnement est encore plus marquée.
L'étroite brèche qui permet de passer de la rue de Crimée à la cour intérieure.

Le projet

La parcelle était réservée en vue de la réalisation de logements ou de logements locatifs intermédiaires (LI 100-60). Ni la mairie, ni Paris Habitat n'ont préempté cette parcelle qui a été vendue pour 15 millions d'euros à un promoteur belge puis revendue.

Le projet divise la parcelle triangulaire en 4 triangles égaux dont 3 occupés par des bâtiments et le quatrième par une cour centrale (qui ne représente donc qu'un quart des 1230 m² de la parcelle alors que la cour actuelle en occupe la moitié). L'avantage de cette division est de maximiser la surface construite, l'inconvénient est le très fort vis à vis des appartements à chaque pointe des triangles sur une cour déjà très exigüe ce qui semble ne pas respecter les dispositions du PLU (6).  
Il y aurait un bâtiment  de 7 étages sur la rue de Crimée, un de 7 étages à l'angle de la rue de Crimée et de la rue Arthur Rozier (6 étages sur cette dernière) et un bâtiment en fond de parcelle de deux étages sur la rue Arthur Rozier. 
On peut s'étonner de  voir un projet avec un bâtiment de 6 étages sur l'étroite  rue Arthur Rozier. Cela est du a une subtilité du PLU. On définit des hauteurs sur une bande constructible de 20 m en bordure de rue (bande E) mais quand celles-ci se recoupent c'est la bande la plus favorable à la construction qui s'applique: le bâtiment de la rue Arthur Rozier bénéficie donc de la limitation de hauteur à 31 m de la rue de Crimée.
L'opération comportera 650 m² de bureaux et 63 logements pour 3860 m². suivant le credo actuel il ne comporte aucun parking ce qui semble aberrant.
Le PLU actuel  oblige le promoteur a consacrer 60% de la surface des logements à des logements sociaux ou intermédiaires (7). Comment le promoteur compte t -il remplir cette obligation ? 
Sur l'avis des autorités compétentes on note que le maire écrit dans l'autorisation du permis de construire " le projet reste dense malgré les efforts faits", l'architecte des bâtiments de France ( dont l'avis n'est pas contraignant)  écrit qu'il "s'interroge sur la pertinence du projet concernant sa hauteur en regard de son environnement immédiat comme éloigné". 

L'avenir est donc à un nouvel ensemble massif exploitant toutes les possibilités (les failles !) du PLU actuel s'il n'y a pas de mobilisation des habitants du quartier.

Publicité dans les années 60 pour l'immeuble du 38 rue de Crimée (construit à la place de la manufacture de peignes Godefroy Siebermann)
Les seules différences entre un projet des années 60 et un projet actuel sont-elles que les toitures sont "végétalisées" et que les parkings sont supprimés ? 
N'avons-nous rien appris depuis ? 


Penchons nous sur le passé de cette parcelle qui est plus intéressant. 



La manufacture Jules Tuquet à l'angle de la nouvelle rue de Crimée et de la rue des Mignottes (actuelle rue Arthur Rozier).
Le pont n'est pas encore construit
La manufacture de peignes "Godefroy- Siebermann" au 38 rue de Crimée (10)
A la fin du XIX e siècle, la rue de Crimée est bordée d'ateliers et d'usines 
Au 14-16 la filature  d'angora "la boule de neige",  la fabrique de papiers ondulés "Cassard au 72-76, les "transports de l'Ouest" au 118, la manufacture de chiffons pour la papeterie "Verdier-Dufour" au 251-257,...
Vue de la rue de Crimée depuis le pont de la rue Arthur Rozier. Jusqu'à la dernière guerre la rue resta bordée d'immeubles modestes et d'usines. Tout cela disparut progressivement à partir des années 60.
Des  bâtiment de cette photo il ne reste aujourd'hui que l'immeuble à l'angle de la rue Botzaris dont on aperçoit le pignon blanc à gauche.
Vue de la cour de l'orphelinat
En 1894 l'orphelinat compte 125 loges adhérentes et accueille 84 enfants. Le tuteur de l'orphelin doit s'engager "à ne pas vouloir le soumettre  aux pratiques de  l'un quelconque des cultes existants". En 2020 l'association  des maçons Solidarité Jeunesse soutient 92 enfants .
Une salle de classe de l'orphelinat.
« Notre maison n’est pas un internat. C’est une maison familiale où nos chers petits trouvent non la sévérité et la discipline rigide de tant d’établissements recueillant des orphelins, mais l’affection familiale de tous les membres de l’ordre qui s’intéressent à l’œuvre. » (1903)
La façade du centre de sécurité sociale. Un des seuls survivants des bâtiments du XIX e siècle de cette partie de  la rue de Crimée
Ballons sur le mur de soutènement après le pont par L C Venezia dans les années 70.
Au début du cinéma muet, la rue de Crimée et ses escaliers furent souvent les décors des films comiques Gaumont dont les studios étaient tout proches

La maison et l'usine de tissus (1878 - 1892)

Jules Tuquet  était un négociant en tissus installé 22 rue de Cléry dans le quartier du Sentier. Il acheta un terrain triangulaire  en 1878 à l'angle de la rue de Crimée et de la rue des Mignottes. Le quartier était alors très modeste avec des  maisons basses et des ateliers.  Il fit alors  construire  une maison d'habitation  et des ateliers pour produire des tissus "ruchés et plissés". Il y eut d'abord la maison d'habitation (contenant probablement les bureaux) en fond de parcelle dans l'angle droit, puis un corps de bâtiment le long de la rue des Mignottes (rue Arthur Rozier) et enfin une deuxième aile d'atelier perpendiculaire.

Jules Tuquet perfectionna les  machines à plisser  (5),  franc-maçon, il  fut adjoint au maire du XIX e arrondissement, il mourut à 41 ans en décembre 1881 et eut un enterrement civil.

L'établissement devint alors Tuquet  et Bossé. En 1885 la centaine  d'ouvrières de l'usine se mirent en grève à cause d'un nouveau règlement intérieur. L'établissement devint enfin  Tuquet   Stugocki et Bossé fabricants de "ruches, plissés et balayeuses".

L'orphelinat maçonnique (1892 - 1940)

L'orphelinat est fondé en 1862 par le Grand Orient et la Grande loge de France et n'admet que les orphelins des maçons de ces deux obédiences, A ses débuts les orphelins sont répartis dans diverses maisons d'éducation (2) mais l'orphelinat s'installe en 1892  rue de Crimée  dans les locaux de l'ancienne usine.(3).

Le centre d'accueil pour les mineurs (1941 - 1947)

L'orphelinat sera sous séquestre durant l'occupation. Il deviendra en 1941 un "centre d'accueil pour les mineurs" (9) dépendant de l'administration pénitencière avec une capacité de 110 places, il ne  fermera ses portes qu'en mai 1947.
Il est probablement en bien mauvais état lorsqu'il est vendu en 1948 à la caisse de Sécurité Sociale (8)

La Caisse primaire d'Assurances Maladie (1948 - 2021)

La Caisse réorganise les bâtiments qui accueillent ses guichets et des bureaux.
Un hall moderne et un nouveau perron sont aménagés vers l'an 2000.
La Caisse déménage vers la rue de Flandres en 2021. Racheté pour 15 millions d'euros par un promoteur belge (4) elle fait l'objet de baux précaires pour maintenir une occupation et éviter les squats avant sa démolition promise. 

La quartier de l'Amérique

Le centre de la CPAM était situé à l'angle du 19  rue de Crimée  et de la rue Arthur Rozier. C'est donc dans le quartier de l'Amérique, à la limite du quartier du plateau. Ce quartier tiendrait  sont nom des carrières de plâtre qui étaient censées envoyer leurs produits jusqu'en Amérique. Les carrières occupèrent d'abord l'actuel parc des Buttes Chaumont puis l'exploitation remonta vers le Nord  et 3 carrières principales  appartenant à J Montéage furent exploitées intensivement jusqu'en 1860, leur activité ralentit  progressivement à partir de l'ouverture du parc en 1867 pour s'arrêter complétement en 1872. La partie du quartier occupée pas les carrières était un terrain vague désolé , le sol creusé de nombreuses galeries souterraines était instable, on ne pouvait y construire que des pavillons ce qui donna naissance à l'actuel quartier de la Mouzaïa. 

La partie du quartier hors carrière, où se situe le centre, conservait de sa première vocation agricole de longues parcelles étroites (forme donnée à la suite des divisions dans des héritages successifs) (1). Elle se couvrit ensuite de modestes maisons et d'ateliers . Au Sud du quartier on créa la place des Fêtes en 1836. Le second empire créa en 1853 la rue de Crimée qui perça la rue butte  des Mignottes, passant par un pont sous la rue des Mignottes (actuelle rue Artur Rozier).

La seconde moitié du XXe siècle fut celle de la destruction de l'habitat et des ateliers anciens autour de la place des fêtes pour construire les tours et les barres actuelles. Dans les rues épargnées, les maisons modestes et les ateliers furent progressivement remplacés par des immeubles d'habitation certains très massifs. Là rue des solitaires garde quelques immeubles anciens et la cité du Palais Royal.

  1. La parcelle de Jules Tuquet  est au contraire  triangulaire car elle provient de la réunion de petites parcelles coupées par la nouvelle rue de Crimée. 
  2.  A Pantin et au Lilas pour les garçons, les filles au Parc St Maur et à Rueil. L'œuvre a été créée par François Xavier Cattiaux médecin (hélas inventeur d'un "sérum antiphtisique", il se rendra ridicule par sa controverse avec Pasteur),
    Au 160 rue de Crimée il y a l'orphelinat des sœurs de St Vincent de Paul.
  3. Tuquet et Cattiaux étaient tous deux  francs-maçons et conseillers municipaux du XIX e. L'usine appartiendra ensuite  à la fille de Jules Tuquet Valentine qui la cède à Mme Picard qui reste propriétaire jusqu'en 1908
  4. revendu à Natixis ? 
  5. On note à l'exposition internationale d'électricité de 1881 "deux machines à plisser accouplées -à deux machines à piquer (système Tuquet) mues par les moteurs électriques Deprez, exposées . par M. Guichard, ingénieur civil."
  6. Le calcul subtil d'écartement entre bâtiments du PLU trace une verticale de 4 m puis une oblique de 45°, celle-ci ne doit pas rencontrer la façade située à une distance de  4/3 de l'écartement minimal des bâtiments.
    Il est remarquable que le bâtiment actuel,  bâti en  1878, ne pourrait pas être construit aujourd'hui: il ne respecte pas le PLU (hors bande E)
  7. Le projet est dans une zone " non déficitaire en logement social"
  8. L'association "Solidarité Jeunesse" poursuivra son action jusqu'à nos jours mais en soutenant des jeunes dans des familles d'accueil.
  9. Lorsqu'un mineur est interpellé, il passe quelques jours au commissariat avec les adultes puis est envoyé dans  un "centre de triage", il est ensuite dirigé sur un "centre d'accueil" en attente de son jugement. Ces centres seront supprimés par une ordonnance de 1945 et fermeront progressivement.
  10. Deviendra ensuite Nicolaï Abramson puis Bach & Laboschiner

Sites et références

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