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vendredi 13 octobre 2023

L'entretien du parc des Buttes Chaumont: histoire d'une incurie municipale

Les carrières avant le parc  décrites dans un autre article). Au Nord de Paris il n'y a pas de pierre mais de l'argile et en dessous du gypse. Le quartier est désert, il y a des moulins et plus bas  la voirie de Montfaucon
La future grotte était l'entrée des carrières souterraines de la compagnie Schacher sous le quartier du plateau. Le fond actuel de la grotte n'est qu'un mur de béton et de briques, les stalactites sont en ciment. Sur le plateau, le  sol stable est à 60m de profondeur, ce qui obligera à construire la station de métro Buttes Chaumont "sur pilotis".  
Ce n'est pas la montagne mais bien le futur parc avec des arbres encore bien petits. A l'origine l’aspect des falaises rappelle Etretat car elles plongent à pic dans le lac. La dissolution du gypse va demander des consolidations en béton et la création de banquettes plantées. Des jardinières seront installées au flanc des falaises vers 1920

Les travaux du parc en 1865.
Il fallait faire vite: les allées seront seulement sablées, les balustrades en bois et à l'inauguration pour l'exposition universelle de 1867 seule la base  du belvédère était construite.
Le belvédère , "le temple de la sybille", en 1890.
En bas des Buttes, près de la mairie des immeubles modernes apparaissent mais le quartier du plateau est toujours occupé par des ateliers et des maisons pauvres. Gaumont y construira la cité Elgé, le plus grand studio de cinéma au monde avant la guerre de 1914 
Le pont suspendu. Celui-ci sera fermé vers 1980 et le restera de longues années.
Il est aujourd'hui à nouveau fermé puisque l'accès à l'ile est interdit.  
Le pont des suicidés et le belvédère.
Le pont doit son nom (non officiel) à de nombreux suicides contre lesquels la municipalité réhaussa   sa rambarde par une grille.
Notez que les falaises plongent directement dans le lac et que les rives ne sont pas bétonnées.
On construira des banquettes au pied des falaises et des jardinières vers 1920 
Un dimanche, le seul jour où le parc est fréquenté, aux Buttes Chaumont.
On voit les deux bateaux qui traversent le lac. Dans les années 60 il n'y aura plus qu'un bateau, puis plus aucun...
Les bateaux, le belvédère et le pont suspendu.
Il y avait aussi un kiosque à musique sur le lac..
Travaux au fond du lac dans les années 60. Le radier est entièrement repris 
En dessous  du parc le demi cercle des réservoirs d'eau non potable.
Ils alimentaient le parc et les abattoirs de la Villette.
Ils furent ensuite couverts, il y avait une halle de type Baltard à l'angle de la rue de la Villette et une école en préfabriqué sur les réservoirs.
Dans les années 90 la ville voulut supprimer le réseau d'eau non potable (l'emplacement de certains réservoirs était convoité par des promoteurs), le projet fut abandonné mais on sacrifia les réservoirs des Buttes Chaumont.
Sur le plan, en  dessous des réservoirs,  c'était la cité Elgé, les studios Gaumont, les plus grands au monde avant la guerre de 14. Il n'y a même pas une plaque qui rappelle leur souvenir (pas plus que celle des studios des Buttes Chaumont  de l'ORTF qui prirent leur place après leur incendie en 1953).
La statue de Marat. Elle a disparu en 1942 comme presque toutes les statues du parc. il y avait aussi, au Nord, un obélisque" les quatre points cardinaux" qui comportait une horloge et un thermomètre sur deux de ses faces.
Après les années 2000 la fréquentation du parc explose.
Ici l'été 2019
L'ile est fermée.
Maintenant il faut faire des études géologiques !
(On peut faire remonter celles-ci à Cuvier qui s'intéressa aux fossiles des Buttes Chaumont)
Tout le monde sait que les Buttes Chaumont sont une ancienne carrière de gypse et d'argile. (un autre article conte l'histoire du parc ), le sol est donc instable et le parc demande un entretien qui a toujours été négligé. Cela se traduit aujourd'hui par sa fermeture partielle.

Napoléon III voulut doter l'Est parisien populaire d'un parc et l'inaugurer pour l'exposition universelle de 1867 pour marquer les esprits. La réalisation ne prit que 4 années ce qui était un peu trop rapide: les allées sont seulement sablées, les balustrades sont en bois...

Dès la première année les ennuis commencent : il y a des effondrements des galeries de carrière sous le lac et sous les pelouses, le pont Fessant doit être détruit et reconstruit avec un tablier métallique Eiffel.

Après un succès de curiosité le parc n'est plus fréquenté que le dimanche par un public ouvrier peu respectueux. Cette faible fréquentation durera jusqu'aux années 70. Le quartier change alors, les usines et les ateliers disparaissent aux profit d'immeubles d'habitation massifs.  Le parc  est aujourd'hui fréquenté par une population plus aisée  L'été les pelouse sont occupées par une foule et elles ont bien du mal à résister au piétinement. 

L'ile 

L'ile était la partie du banc de gypse inexploitable.
On y accède par un pont suspendu, par le pont des suicidés.et autrefois par bateau.
Elle est couronné d'un belvédères, "le temple de la sybille", inspiré du temple de Vesta à Tivoli.  

Les falaises du  massif central, couronné par le temple de Sybille,  présentent des effondrements inquiétants dès la fin du XIX e siècle  (cette partie du parc était la zone inexploitable de la carrière car le gypse était de trop mauvaise qualité) .
Dans les années 20 on  crée une banquette au pied des falaises (qui tombaient à pic dans le lac) et on bétonne le flanc de celles ci en y installant des jardinières. 

Dans les années 80 on ferme l'escalier des pins qui grimpe depuis le lac dans la falaise pour aboutir un peu au dessus du  débouché du pont suspendu.

Ensuite le pont suspendu est fermé et le reste de longues années suite " à des marchés publics infructueux". Je suppose que déjà à l'époque les entreprises ne se pressaient pas de prendre le risque d'une rénovation sur un pont dont les appuis sont instables.

Le "pont des suicidés" est rénové dans les années 2000

Ensuite  on interdit l'accès au temple de la Sybille, pour en arriver en 2021 à la fermeture totale de l'ile pour " faire des études géologiques en vue de travaux de consolidation".

On peut penser  qu'il  y a des dizaines d'années que "des études" auraient du être faites et des travaux entrepris.

Le lac 

Le lac est alimenté par 3 ruisseaux. Le plus important est celui du Nord qui tombe en cascade dans la grotte. 

Le système hydraulique d'alimentation du lac comporte une cascade dans une grotte  et deux ruisseaux. Tout cela était le plus souvent hors d'usage dès les années 50
Après le départ des abattoirs de la Villette la mairie a considéré que le réservoir d'eau non potable des Buttes Chaumont qui alimentait le système était inutile. Dans les années 90 on a donc décidé " de faire des économies d'eau" en recyclant l'eau du lac (alors que l'eau du réservoir était obtenue par simple pompage dans le canal de l'Ourq). On a donc détruit le réservoir pour construire à son emplacement un immeuble massif  (72 rue Botzaris ) et l'eau a coulé grâce au nouveau système deux ou trois ans jusqu'à ce que l'on convienne que dans ces conditions  et avec les fuites  il n'y avait plus assez d'eau pour arroser le parc. 
La grotte et ses  fausses stalactites de béton présentent des fissures  (la grotte était l'entrée de la principale carrière souterraine, son fond n'est qu'un mur de briques et de ciment qui masque l'entrée). C'est d'autant plus gênant qu'il y avait une cascade, alimentée par le réservoir d'eau non potable des Buttes Chaumont, qui tombe dans cette grotte. La grotte sera fermée et rouverte après consolidation dans les années 70. Elle est aujourd'hui dans un  état lamentable, un filet empêche la chute des débris de stalactites et la cascade est à sec. 

Le fond du lac présente périodiquement des fissures tellement importantes qu'il se retrouve à sec. On pense même dans les années 60 à transformer le lac en terrain de football. Il faut donc périodiquement faire des injections de ciment pour combler les nombreuses cavités qui subsistent de l'ancienne exploitation ou se créent du fait de l'écoulement des eaux. Le lac est consolidé en 1968.

Il existait deux  bateaux qui étaient propulsés à l'aide d'un câble fixe au fond du lac sur lequel s'enroulait une poulie au centre de l'embarcation (un toueur). Dans les années 60 on  embarquait pour 20c et le (ou la) préposé(e) tournait une grande roue qui entrainait la poulie. Sur l'ile le bateau aboutissait à l'escalier des pins creusé dans la falaise. Le mauvais état de la falaise fit fermer l'escalier et le bateau coula au fond du lac dans les années 80

Le décor

Le charme du parc est (était) aussi du à des éléments de décor en béton "rocaille" (les cascades, les rambardes (de 1901), des abris),
Dans les années 2000 ce sont les anglo-saxons qui ont redécouvert l’intérêt de ce patrimoine.
Si le kiosque Nord a été rénové, les autres sont en très mauvais état. L'abri de l'aire de jeu à l'Ouest a brulé dans les années 90, il n'a jamais été reconstruit et l'aire de jeu est fermée par des clôtures de chantier. 
NB: On peut aussi s'étonner de la modestie des deux aires de jeu pour un parc aussi fréquenté.

On a refait les allées en supprimant les trottoirs. L'argument historique était que les trottoirs n'existaient pas à l’ouverture du parc, les allées étaient seulement sablées,  mais dataient de 1883 . L'argument esthétique est discutable (une zone pour le piétons et une zone pour les bancs c'est raisonnable). Les raccords disgracieux avec les grilles d'entrée (voir particulièrement la grille Bolivar) et les photos d'époque font regretter les trottoirs sur les  allées principales  On ne comprend pas non plus pourquoi certains caniveaux au croisement des allées ne débouchent pas sur une grille d'égout, ce qui fait que l'eau inonde l'allée en cas de pluie. On peut cependant se féliciter de la couleur claire du revêtement choisi et du fait que les plantations des allées ont été rénovées 

 Comme dans tout parc respectable il y avait des statues: "le Sauvetage" par Roland en face de l'entrée principale rue Manin; plus loin du coté de la rue Manin, "le Gué" par Camille Lefèvre, "l’Égalitaire" par Captier, près de l'entrée de la rue Bolivar "au Loup !" par Hiollin, à gauche du pont de briques; "le Chasseur d'aigles par Desca, sur bord du lac, près de la grotte "le Pilleur de mer", par Ogé. En 1906 on y ajouta la statue de Marat; elle venait du parc Montsouris ou elle avait été jugée "inopportune", le socle ne portait aucune inscription explicative jusqu'en 1936 ou le Front Populaire en fit graver une. 

Les guerres sont friandes de bronze et il ne reste que des socles. Il y n'y a plus qu'une petite statue moderne du dieu Pan près du ruisseau de l'Est, une mystérieuse statue en pierre d'un homme tentant d'échapper à quelque chose cachée dans la verdure et un modeste buste de Clovis Hugues.
N'existerait il pas dans les entrepôts de la ville de Paris des statues sans emploi  ?  Par exemple le  parc accueillerait avec ferveur les dauphins démontés de la place de la République .
 La conception par Davioud des maisons de gardiens et des restaurants fut aussi très soignée. Les 5 pavillons de gardien et le pavillon de l'ingénieur sont de formes différentes mais de conception semblable, en brique avec des décorations de faïence et précédés d'un porche. Ils sont pour la plupart en mauvais état.
Les restaurants (Pavillon du Lac, Pavillon Puebla, and Rosa Bonheur) étaient également en briques de couleurs multiples, bandeaux de faïence avec des colonnes cannelées. Aujourd'hui seul Rosa Bonheur reste à rénover.

Conclusion

Le parc demande un entretien constant du fait de son origine. Il a bénéficié de travaux importants jusqu'à la moitié du XX e siècle, ensuite ce fut surtout des travaux "d'urgence" ou des lubies.
Les parcs et les squares du XIX e siècle n'ont pas besoin de "nouveautés". Il est par exemple inutile de supprimer les clôtures des squares Montholon et St Jacques pour s'apercevoir ensuite qu'il faut les rétablir à grands frais ou de vouloir "moderniser" le square Jean XXIII de Notre Dame.
Il faut simplement entretenir convenablement.
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Tableau idyllique des Buttes Chaumont dans l'Illustration en 1867

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Sources et références 


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