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vendredi 21 septembre 2012

La voirie de Montfaucon

En 1745 la voirie est sur le territoire de la Villette
et le gibet symbolique existe toujours.
En bas l’hôpital Saint Louis.
A gauche la rue verticale est  dans la moitié inférieure
le faubourg St Martin et ensuite, en quittant Paris,
l'avenue de Flandres
La voirie vers 1810.
Le plan  représente l'agrandissement de la partie encadrée
 de rouge du plan de 1745
La rue en diagonale est la rue de Meaux , elle forme la limite
 entre la Villette et le village de Belleville
Paris (la place du colonel Fabien) est en bas à gauche.
Les carrières sont à droite de l'image 

Durant plus de cent ans la voirie de Montfaucon  a reçu les vidanges de toutes les fosses de la capitale;  ce n'est donc pas un sujet très romantique. J 'ai choisi de citer les textes d'époque qui décrivent avec détachement cet enfer ou survivait des hommes et des femmes.

Ne croyez pas que tout cela appartient au passé : Montfaucon nous rappelle des problèmes actuels de  la grande  partie pauvre de notre planète. 



Le "vrai" gibet de Montfaucon se situait place du colonel Fabien.

Il fut détruit en 1760 et reconstruit, comme simple symbole sous le nom de voirie de Montfaucon près de l'actuel marché Secretan sur le territoire de la Villette, à la limite de Belleville . Aucune exécution n'y était pratiquée mais les corps de suppliciés d'autres lieux de la capitale, comme ceux de la place de Grève, y étaient inhumés.
Dés le début du XVIIIeme siécle on apporte dans les carrières abandonnées du bas des Buttes Chaumont les immondices de la capitale
Après la révolution on abat les piliers du gibet mais  la voirie s'agrandit : plus de 10 hectares sur le territoire de Belleville car c'est là que les vidangeurs de Paris apportent le produit de leur labeur.

 Il n'est personne qui ne connaisse ces lourdes et bruyantes voitures descendant, vers dix heures du soir, par les rues Lafayette, du Faubourg-Saint-Denis et du Faubourg-Saint-Martin, principalement, et se disséminant, isolément ou par groupes dans la ville, pour aller recueillir, par divers procédés, le contenu des foyers. particuliers d'infection,dont on n'est pas encore parvenu à débarrasser nos maisons.(2)

Paris eut de nombreuses "voiries d'immondices" (des décharges), mais Montfaucon sera durant un siècle sa seule "voirie de matières fécales"

Avec le produit des vidanges on fabrique un engrais très connu: la poudrette de Montfaucon.

 Pour faire la poudrette, on construit des bassins peu profonds en pierre ou en argile, on les dispose en étages, de manière à ce qu'ils puissent s'écouler les uns dans les autres. Le produit des fosses étant déposé dans les bassins supérieurs on fait écouler la partie liquide dans ce qui est immédiatement inférieur, aussitôt que les matières solides se sont déposées; on opère de même pour le second bassin, dont les liquides se versent plus tard dans le troisième, et ainsi de suite. Les dernières eaux se perdent dans des égouts (*). C'est par ce procédé que l'on finit par n'avoir dans chaque bassin que des matières pâteuses que l'on extrait avec des dragues, pour les placer sur un terrain en dos d'âne, où, à mesure qu'elles se sèchent, on les retourne à la pelle. (4)

(*) Il y avait six bassins de décantation étagés  s’étendant sur 3 ha 1/2 depuis la patte d'oie ( rue Manin)   jusqu'à la Petite-Villette ( avenue Jean-Jaurès) et recevant le contenu des 500 000 tinettes parisiennes. Il n'y a pas d'égout souterrain  à Montfaucon. Durant une longue période le liquide va ou il peut:  "Les liquides fétides filtraient et allaient infecter une partie des puits et même des caves du Faubourg du Temple"(13). Après la construction du canal de l'Ourq il est dirigé sur   le "grand égout" , résultant de la transformation du ruisseau de Ménilmontant.


Après  1830 s'installe en outre une usine de fabrication d'ammoniaque


Un chimiste habile, M. Jacquemard, a fait construire sur l’emplacement même de la voirie une usine destinée à l’exploitation du sulfate d’ammoniaque. Le réactif dont il se sert pour fixer l’alcali volatil est la chaux, qu’il mêle dans les eaux vannes ; l’ammoniaque se dégage, et il est reçu dans de l’eau chargée d’acide sulfurique.(6)

On note en outre la vente de cadavres de chiens et chats errants" pour les physiologistes" (mais en fait pour servir de civet), les  vinaigriers qui font brûler leurs "cendres graveleuses"  et les fabricants de couleur qui "faisaient cuire, torréfier et sécher au soleil du sang de boeuf dont ils tiraient le bleu de prusse" (1) ainsi que la résidence habituelle des chiffonniers de la capitale qui vont avec leurs crocs fouiller dans les tas d'immondices que chacun dépose à sa porte.



Les carrières des Buttes Chaumont employaient une quantité
 considérable de chevaux 
... qui avaient une triste fin 
On y équarrit aussi les vieux chevaux (l'hippophagie étant alors inconnue) .On en abattit jusqu’à quinze mille par an dans les  enclos de deux établissements. Il y avait des boyauderies, on cultivait des asticots pour la pêche ; les crinières et les crins des chevaux étaient récupérés, puis vendus aux bourreliers et aux tapissiers ; la peau était envoyée aux tanneurs. Quant aux dépouilles inutiles, on les abandonnait. aux rats qui pullulaient et transformaient les carcasses en tas d'ossements en une nuit.(1)


 Les débris d'animaux étaient si considérables et si bien à jour qu'une quantité incroyable de rats s'y était produite. On n'a pu les extirper qu'avec beaucoup de peine et successivement pour ne pas les faire émigrer dans la ville en leur enlevant brusquement la chair chevaline. On comptait 2,500 à 2,600 rats tués par nuit par les équarrisseurs à une époque où leur peau avait quelque valeur dans le commerce). On était même forcé d'établir une chasse aux rats avec des primes de tant par cent. Maintenant leur destruction s'opère à l'aide d'un mélange de 1 pour 100 d'acide arsénieux porphyrisé et de 8 pour 100 de farine de froment, dont on fait des boulettes avec de la graisse, du lard grillé et du vieux fromage. (3)

 Ces activités sont quasi complémentaires de celles de vieilles carrières voisines puisqu'elles demandaient des espaces d'épandage, du plâtre ou de la chaux pour faire des engrais et des cavités pour jeter les résidus vraiment inutilisables.
On se doute cependant que dans ces conditions le quartier était insalubre.
Théophile Gautier écrit avec lyrisme:

Au bout de cette chaussée qui laisse échapper par des écluses et des bardeaux à moitié levés, des cascadelles de fange liquide marbrée de longues veines de sang, vous apercevez un pâté de maisons borgnes, chassieuses, rechignées, avec des physionomies scrofuleuses et patibulaires. (5) 


N'oublions pas que de tels lieux existent encore.
Ici: Phnom Penh
Il s'agit cependant de décharges,
pas de "voiries de matières fécales".
A côté des bassins de vidange, il y avait des masures, des  échoppes de marchand de vin, des ateliers et même, parait il,  une fabrique de capotes anglaises (7).  Il y survivait un petit peuple:  chiffonniers,carriers, chaufourniers, briquetiers, prostituées, boyaudiers, teinturiers, asticotiers, équarisseurs, débardeurs, ravageurs, poudretteux,(*)...

(*) Le débardeur est chargé du vidage des tinettes, le ravageur cherche dans les bassins ce qui est récupérable, le poudretteux retire les matières des bassins pour les faire sécher.

Plusieurs centaines de familles vivaient des déchets de la capitale.


Tout cela  représentait une menace constante pour la santé publique ...  des honnêtes gens.

 La poudrette de Monfaucon était trop près du mur d'enceinte , à l'extrémité de la butte Chaumont qui regarde l'Ouest pour que les vents du Nord ne portassent pas l'infection aux faubourgs Saint Martin et du Temple, et par conséquent à l'hopital saint Louis. (3) 

La crainte d'exposer Belleville et une partie des faubourgs voisins à l'irruption des ces animaux voraces et dégoutants  ( les rats ) avait empêcher l'administration d'ordonner la translation de la voirie(11)

La grande épidémie de choléra de 1832 joue un rôle de déclencheur. Pour la première fois depuis la période romaine, la ville de Paris entreprend une grande opération d'assainissement. Outre la construction d'égouts, la voirie fut transférée en forêt de Bondy en 1837 et définitivement supprimée en 1849.

En 1867 on écrivait:

  Autrefois, ces voitures allaient déverser leur chargement dans de vastes bassins situés au pied des buttes Chaumont, lacs immondes,que bien des Parisiens se rappellent avoir vus, et dont les fétides émanations se propageaient parfois jusqu'aux boulevards. Depuis une vingtaine d'années, ces bassins ont été supprimés, mais comme on ne pouvait supprimer aussi la cause qui les avait fait établir, il a fallu les remplacer par d'autres bassins, que l'on a éloignés davantage de l'ancienne enceinte ces nouveaux bassins sont situés dans l'intérieur de la forêt de Bondy, assez loin pour qu'ils n'étendent plus jusqu'à Paris leurs déplaisantes senteurs que, d'ailleurs, les arbres mêmes de la forêt neutralisent en partie. (2)


Ce quartier, bien après la construction du parc des Buttes Chaumont, demeurera  peu ou pauvrement bâti et gardera la réputation de n'abriter la nuit que des maraudeurs et des prostituées.

 Aujourd'hui, aucune trace  ne subsiste.




Et après  ? 

Il faut distinguer les voiries d'immondices des voiries de matières fécales.

Les voiries d'immondices étaient d'abord un peu partout dans Paris .Il y avait en 7 vers 1800 dont une rue de Ménilmontant. Elles furent ensuite déplacées vers 1830  à Montrouge, Vincennes et Clichy.

L'organisation des voiries de matières date de 1726 (les fosses d'aisance étaient obligatoires à Paris depuis un arrêt du parlement de 1533). On établit alors 3 voiries dans les faubourgs: St Germain, Saint Marceau, Montfaucon. En 1781 seule cette dernière fut conservée.

"M Tardieu cite des faits biens curieux .. Il ressort en particulier que les matières sont d'autant plus fétides qu'elles proviennent des quartiers les plus pauvres."(14)

Après la suppression de Montfaucon, les immondices  arrivent à la Villette  dans un dépotoir souterrain  ou sont séparées les matières liquides et solides. Les matières liquides sont refoulées par une machine à vapeur vers une conduite souterraine qui les conduit à Bondy . Les matières solides arrivent à Bondy par péniches. La voirie de Bondy à un kilomètre de long, elle présente deux ensembles de 4 bassins "encadrés de tous cotés par la forêt qui forme un abri naturel". Les matières passent dans une série de 4 bassins successifs. La partie liquide va dans une "fabrique de produits ammoniacaux", puis est finalement rejetée dans la Seine à la hauteur de Saint Denis. Les parties solides sont converties en poudrette.
On a donc amélioré  à Bondy le traitement séparé des matières liquides et des matières sèches pour en tirer des produits utiles.(19)

Les ouvriers travaillent jusqu'à 15 heures par jours avec un salaire de 3F 55c, mais il faut y joindre les bénéfices quelquefois considérables que leur procurent le produit des objets plus ou moins précieux qu'ils trouvent dans les tonnes(15). 


Londres a une politique très différente de Paris : le tout à l'égout. Malheureusement ces égouts se déversent dans la Tamise au coeur de Londres . En1858 ce fut "la grande puanteur de Londres", car un été caniculaire réduisait la tamise à un grand égout. Le palais de Westminster donne sur la Tamise, aussi les parlementaires ne pouvaient pas l'ignorer et ils votèrent un budget énorme, 3 millions de livres, pour construire des égouts latéraux à la Tamise.(18)

Paris continuera d'interdire le rejet des matières solides dans l'égout jusqu'en 1894.
A cette époque le traitement des ordures passe de la valorisation par une industrie lucrative ( pour les fermiers des voiries, pour les fabriquants d'engrais et d'ammoniaque et pour le petit peuple des chiffonniers) à celui d'une charge pour la société. Le nom du préfet Poubelle est associé à cette rupture.

Les  fosses  avec séparateur et ventilation apparaissent vers 1850 aux magasins du Louvre La fosse septique fut d'abord la fosse Mouras du nom de celui  qui la breveta en 1881 mais qui ne comprit tout d'abord pas que sa fosse devait être ventilée. La "californienne" à double compartiment apparue vers 1918.


Et aujourdhui ? 

Dans les mégalopoles modernes il y a bien sur des décharges mais pas de voirie de matières fécales.
Cela s'explique pour la partie riche de la ville qui,  au contraire du Paris du début du  XIX ème siècle, possède un réseau d'égouts ( même s'il est insuffisant la plupart du temps). Les townships, favelas, baraques, bidonvilles, ne sont, dans le meilleurs des cas, équipés que de quelques toilettes publiques. La vidange ne semble pas organisée collectivement comme elle l'était à Paris.

Le WC à chasse est un luxe. Je pense que les pays ou l'eau n'est pas un problème ne doivent pas se l'interdire par masochisme ou intégrisme écologique. Ils supposent  cependant la construction d'énormes stations d'épuration. Dans un pays pauvre le seul résultat est de diminuer les ressources en eau et de polluer les rivières.(16)

On redécouvre bizarrement le compost, on promeut  non des bassins de décantation  collectifs comme à Montfaucon, mais des toilettes sèches individuelles. Un détail à surement échappé aux promoteurs : pour que ça marche il faut des déchets végétaux ( sciure, paille, foin...). Ou en trouvera t'on dans les bidonvilles ?

Dans tous les cas la solution ne peut être que collective, par changement d'habitude et organisation globale. L'enfer de Montfaucon était de ce point de vue très en avance sur la situation actuelle du tiers monde(*)
Il est infiniment triste de constater que la  solution utilisée pour Bondy, la séparation de l'urine des matières solides et leur valorisation, est à la pointe de la recherche actuelle.

(*) Tiers monde n'est plus une expression politiquement correcte,  la réalité a t'elle changé pour autant ?  



Sites et références

Montfaucon vers 1820.
Les combats d'animaux se pratiquent encore
sur la place du colonel fabien 
Montfaucon "industriel " après 1830
la rue Fessart "prolongée" traverse l'espace des carrières
  1. Belleville, Lepidis Jacomin, Editions Henri Veyrier 1980
  2. Le temps, 17 Septembre 1867 n° 2320
  3. Paris médical, Meding 1852
  4. Cours d'agriculture T 1,  Comte de Gasparin 1820
  5. Caprices et zigzags, Théophile Gautier ( en particulier le chapitre "la ville des rats")
  6. La revue des deux mondes 1848
  7. Nouveau tableau de Paris T4   et T2, Duverger.  Béchet  1834
  8. l'invention des déchets urbains, Sabine Barles 2005
  9. La révolte des chiffonniers en 1832. La ville des gens 
  10. Collection de pamphlets, Guizot  1835 ( ou on apprend que les intérêts des fermiers de la voirie de Montfaucon et ceux du futur chemin de fer de Bondy sont liés)
  11. France pittoresque T3, A.Hugo 1835  
  12. Guide pittoresque du voyageur en France, de Saint Fargeau 1835
  13. La revue de Paris . Les égouts. Jules Janin 1836
  14. Larousse du XIXéme siècle T12 et T15
  15. Dictionnaire d'hygiène publique et de salubrité T2 (fosse) T4. (voirie). Ambroise Tardieu 1862 
  16. Down to earth Sunita Narain février 2002 traduit en Français 
  17. Revue du génie militaire 1890 p201-221  1892 p 323-338  tinettes et fosses septiques dans les casernes
  18. Le Paris moderne 1855-1898. Chevalier. Université de Rennes 2010
  19. Annales des ponts et chaussées. Mille 1854 p 129
  20. Cycle de l'eau et de l'azote 1800-1937.  Barles


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