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jeudi 27 septembre 2012

Le chronophotographe Demeny


L'appareil de prise de vue biographe de Demeny
monté dans châssis de bois
Intérieur du chronophotographe  1896
Chronophotographe 1896 et principe de la came flottante.
Notez la lanterne éloignée de l'appareil pour des motifs
de sécurité.
Après l'échec de la location on envisagea de le vendre 3150F
puis dès Juillet 96 2000F
la version 35mm de 1897. Notez la chute des prix !
Cette année là se produira l'incendie du bazar de la charité
causé par le cinématographe.
120 morts, ce qui ne serait pas très grave à l'époque si ce
n'étaient que des membres de la haute société.
Ajouter aux démêlés sur des brevets cela tombe très mal
pour Gaumont
Chronophotographe 97 en configuration
 prise de vue 
Le chronophotographe avec deux débiteurs dentés 
Demeny est l'ancien assistant de Marey, pionnier de l'image animée.
Il produit  vers 1894 un appareil de prise de vue et le phonoscope pour le visionnage  sur un disque tournant de 16 photos.
Ces affaires sont peu brillantes et il est au bord de la faillite.
Les brevets de Demeny sont de 1892 et 1893, donc antérieurs à ceux de Lumière. Léon Gaumont y voit l'opportunité de s'installer sur ce marché balbutiant de l'image animée. Il  propose une association en 1895: il fabriquera et lui Demeny touchera une redevance sur chaque appareil.
Les appareils originaux de Demeny sont renommés  Bioscope (1) , et  Biographe mais seront  abandonnés très vite par Gaumont, dés le début 1896.
L'appareil de prise de vue est cependant très  intéressant à cause de son mode d'entrainement breveté: la came battante.
Il s'agit  essentiellement d'un excentrique ( D) , un plateau tournant  comporte une tige en acier excentrée  qui entraîne le film par saccade à condition que celui ci soit légèrement serré, retenu,  par un presseur sur la bobine émettrice  "Avec une forme convenable calculée spécialement j'ai pu obtenir un arrêt de la pellicule égal aux deux tiers de l'intervalle de temps qui sépare deux images successives".  L'avantage de ce système par rapport à des griffes est "de ne pas exercer de traction sur la partie perforée de la bande qui présente toujours plus de fragilité" (2). Le film a une largeur de 60mm, l'image utile étant de 45x35 et n'est pas perforé.

L'idée de Gaumont est de construire sur cette base  un nouvel appareil qui permettra la prise de vue et la projection comme l'ont fait les frères Lumière ( mais sans utiliser leur brevet)

Le 26 Avril 1896 Alice Guy convoque Demeny pour une démonstration de l'appareil réalisé par l’ingénieur maison: René Decaux. Ce nouvel appareil est breveté le 15 Juin 1896 (3): c'est le chronophotographe une caméra/projecteur  avec un film perforé de 60mm, 4 perforations par image sur des bobines de 35m, soit 1000 images assurant à peu près 1mn de projection. Il y a deux obturateurs interchangeables  , un pour la prise de vue et un pour la projection, constitués de disques en carton avec un évidemment différent (4).. "L’appareil est le seul capable de couvrir environ 40m2" d'écran.

 Le chronophotographe est décrit par Frédéric Dillaye dans la science illustrée du second semestre 1896 (5).
Dans un premier temps Gaumont et Demeny prévoient  de louer l'appareil et de se rémunérer sur les recettes. Devant le faible succès de la formule Gaumont fait volte-face et rompt le contrat avec Demeny.

Le format 35mm s'impose cependant et Gaumont fait fabriquer dès Septembre 1897 trois Chronophotographes 35mm. proposés dès Novembre sur le marché (6)

Le chronophotographe orginal ne comporte  qu'un seul "cylindre denté" situé du coté de la bobine réceptrice.
Ce dispositif convient pour des bobines de 20m (1mn de projection ) mais ne permet pas d'utiliser des bobines plus longues.
Le chronophotographe sera donc modifié avec deux débiteurs dentés et une boucle: on propose alors des films de 60m.
En 1901 on sort le Chrono négatif IIb avec des bobines de 100m. Presque en même temps Demeny cède tous les droits de ses brevets à Gaumont pour une somme symbolique de 500F .

  1. Le bioscope  aura chez Gaumont des descendants indirects:  le Kinora et  le Mutoscope.
  2. L'entrainement du film est un point capital. "Si la bande est bien souple, si elle est neuve, exempte de tout collage, c'est parfait, l'appel se fait régulièrement. Mais si l'on prend une bande sèche, froissée, collée à divers endroits, la came appelle plus fort les endroits plissés ou collés qui lui font résistance "( Manuel pratique du courrier cinématographique 1913). L'entrainement classique par croix de Malte entraine le film sur 1/6 du temps ( une durée plus faible risquerait de déchirer le film). Les Lumière utilisaient un excentrique  de Trezel ( ou de Hornblower).
    Un site très bien fait donne tous les systèmes autres que celui de Demeny. 
  3. et un  brevet compléméntaire le  9/12/96.
    1896 est l'année des dépôts massifs de brevets sur l'image animée: plus de 150. La guerre des brevets  conduira à une brève saisie des appareils du comptoir général de cinématographie en novembre 1896 par un concurrent mal intentionné: Joly. Celui ci reproche à l'appareil Demeny d'utiliser une boucle de pellicule, dispositif qu'il a fait breveter. Joly perdra son procès mais tout cela n'arrange pas les affaires de Gaumont  qui n'arrive pas à vendre l'appareil , même à 2000F.
  4. Les obturateurs du chronophotographe ne possède qu'un évidemment, celui ci étant plus grand pour la projection. Sur tous les premiers projecteurs dont la bande défile entre 14 et 20 images par seconde il y a un scintillement . En 1898 Gaumont propose de regarder la projection au travers d'une grille qui supprime le scintillment.
    On se rendra compte  plus tard  d'un effet curieux: si on projette à 16 images/seconde cela scintille, mais si on projette avec un obturateur qui tourne deux fois plus vite que le défilement (donc 32 images par seconde, l'obturateur agissant entre deux images mais aussi au milieu d'une même image) le scintillement disparait. L'explication, avancée en 1912, est la persistence rétinienne mais depuis peu on l'attribue à l'effet Beta qui fait que le cerveau intègre  naturellement les images   à condition qu'elles alternent suffisamment rapidement ( Edison fixait ce rythme a 46 images/seconde pour son kinescope).
  5. Les pionniers du cinéma ne sont pas très fixés sur le nombre exact d'images par seconde qui ne sera réglé rigoureusement à 24 images/seconde qu'avec l'arrivée du sonore (car nous sommes plus sensibles au pleurage sonore qu'au "pleurage" optique).
    Les projecteurs auront alors un obturateur à 48 images/seconde ( 2 pales ou tournant deux fois plus vite que l'avance de pellicule) ou 72 images/seconde ( 3 pales ou 3 fois plus vite). L'obturateur sera plutôt situé entre la lanterne et le film afin d'éviter que celui ci ne chauffe trop.  ( voir aussi les notes de l'article sur le début du parlant)
  6. Les péripéties françaises sont peu de choses comparée à la guerre à outrance que livre outre atlantique Edison à ses concurrents. Edison est partiellement responsable du retard pris par le cinéma américain avant la guerre de 14.
    Les problèmes de brevet sont la cause de l'utilisation par L'American Biograph d'un format large 68mm qu'avait utilisé Lauste, en 1896,  avec l'Eidoloscope. 
  7.  Ce journal est dirigé par louis Figuier, célèbre pour ses ouvrages de vulgarisation et Frédéric Dillaye est un fidèle du comptoir de la photographie dès ses débuts, également rédacteur des nouveautés photographiques ( et est par ailleurs employé dans un ministère). C'est de lui qu'Alice Guy dira " il a écrit de nombreux livres sur la photographie et fut mon professeur bénévole, surtout quand je commençais mes films ".L'appareil est décrit aussi  dans la Nature second semestre 1896 p391 C Mareschal  et dans la Science Française de Juillet 1897  p87
  8. Dans "la mise au point" n°1 Novembre 1897, qui n'est pas une revue mais le catalogue Gaumont.

Le phonoscope ( bioscope)

Une des grandes idées des frères Lumière est d'utiliser le même appareil pour la prise de vues et pour la projection.
Demeny, lui, est fortement influencé par les travaux qu'il a fait avec Marey sur la décomposition du mouvement.
Son appareil de visionnage, le phonoscope,   se limite à montrer  28 vues (prises par le biographe)  sur un tambour  et est donc "dépassé" même en 1895.  Il ne datait cependant que de 1892 ou il avait été présenté à l'exposition internationale de photographie sur le stand de la station  physiologique Marey sous le nom de Photophone.

Le phonoscope

Utilisation du phonoscope en vision directe ou par projection

Le Kinora et le Mutoscope 

Les appareils à "tambour"  répondent tout de même à deux besoins
  • le visionnage individuel "de salon",
  • les appareils de foire
Gaumont  produira  des appareils pour ces deux marchés: un appareil de salon, le Kinora ( brevet Lumière), et un appareil  destiné aux foires, le mutoscope ( brevet  américain Gasler).
Les deux appareils utilisent des photographies et non des pellicules.
Le Kinora est assez léger et a un un moteur à ressort qui fait défiler un rouleau de 600 photos.
Le mutoscope est un très gros appareil, il  propose 1000 images, sa   principale astuce  de conception  est son monnayeur qui ne permet qu'un visionnage du rouleau ( en tournant une manivelle) à chaque pièce introduite. L'éclairage est assuré par une lampe à incandescence sur piles.  Il est livré avec ou sans pied en fonte 

Le tournage de la biche au bois

Le Figaro du 6 août 1896. La pièce sera reprise en Novembre et le théâtre encaissera  dimanche 15 " la belle recette de 9000 francs !"
En 1896 Léon Gaumont obtient de M M Floury directeurs du Chatelet le tournage de l'une de leurs "fééries", La biche aux bois, pièce  d'Hypolite Coignard inspirée d'un conte de Mme d'Aulnoy.
Ce tournage se déroulera sur le toit du Chatelet avec le chronophotographe 60mm et sera l'objet d'un des premiers trucages.
Le sénéchal Pelican  est tourmenté par des démangeaisons dans le nez qui lui ont été procurées par la fée de la Fontaine, la fée Topaze va les faire disparaître. 
Ducom, qui tourna la scène, raconte: "l'acteur est placé de profil devant un décor représentant la salle d'un sombre et basse d'un château  Sur le mur du fond on voyait le nez de l'acteur grossir, s'allonger et rougir démesurément, puis au bout du nez une explosion se produisait et au milieu d'un fracas épouvantable et de nuages de fumée intense. une foule de lutins sortaient du nez , exécutait une danse infernale en frappant sur le bout du nez avec des marteaux et des piques,.. Après  cette ronde les esprits disparaissaient dans un autre nuage de fumée, le nez reprenait sa longueur normale et le personnage de féerie remerciait la bonne fée.
Deux sortes de projections étaient nécessaires : une produite par une lanterne ordinaire et destinée à projeter l'image du nez grossissant, l'autre cinématographique pour projeter la scène  ou l'on voyait l'explosion du bout du nez, les fumées et les danses..."
La biche au bois est avec la fée aux choux une des premières fictions réalisées par le chronophotographe Demeny 60mm.

L'exposition universelle de 1900

A l'exposition de 1900, on peut voir au pavillon de la ville de Paris six  chronophotographes qui projettent en continu des scènes de la vie dans les  écoles municipales de la ville de Paris.
Gaumont proposait aussi au stand des wagons lits des vues du transsibérien traversant les steppes russes ( premier documentaire pris d'un train en marche)  ( Alice Guy 1930).
Gaumont a tenté de vendre à chacun des pavillons de nos colonies d'alors des "reportages". Il est donc probable qu'il existait aussi des projections dans certains pavillons.  

Lumière proposait à l'exposition un écran géant de 15 m par 25 dans la galerie des machines.

La proposition la plus originale était celle du Cinèorama de Grimouin-Samson.  Les spectateurs embarquaient dans une nacelle de ballon autour de laquelle se trouvait un écran circulaire  avec 10 projecteurs.
Il n'y eu malheureusement que 3 représentations car la commission de sécurité  fit fermer l'attraction ( G Sadoul T 2  p 97)

Il y a aussi des films "parlants" ( à l'aide de phonographes à rouleaux): le Phonorama de Dussaud et Joubert et le Photo-cinéma-théâtre de Decauville
Un moteur électrique et une lampe à incandescence de 100 bougies  (350W probablement filament de charbon ) complètent l'appareil original. Les panneaux verticaux qui ressemblent à des radiateurs servent de support aux films  à l'aide des poulies de renvoi ( ils sont équivalents à une bobine continue de 20m (cette disposition existait déjà dans le kinétoscope d'Edison de 1888).

Références

  • La nature 1892 (phonoscope),1896, 97, 99 (mutoscope), 1900
  • Le journal de la jeunesse 1900, 1902
  • La science illustrée 1896
  • La science Française 1896 
  • L’année psychologique. G Demeny. Les appareils chronophotographiques 1898 n°5 p347-368
  • La chronophotographie. J Marey 
  • La mise au point ( par des citations dans d'autres ouvrages)
  • Gaumont, 90 ans de cinéma Philippe Hugues 
  • Correspondance commerciale de la société Léon Gaumont 1895-1899
  • Théorème 4 Cinéma des premiers temps: Nouvelles contributions françaises. Sorbonne nouvelle.
  • Le site cinematographes
  • Le cinématographe Lumière par Armand Sée. 1896
  • Les origines du cinématographe. L'informateur de la photographie. Juin 1924
  • Manuel pratique à l'usage des directeurs de cinéma 1913
  • La grille chronophotographique.  Les nouveautés photographiques 1898 p 144 


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